L'éclosion d'objets
Le cabinet de curiosités est le lieu de toutes les découvertes. Les objets en tout genre s'y entassent, du moment qu'ils sont étranges et particuliers. Ses représen-tations qui nous sont parvenues, montrent le foisonnement qui divertit le regard, incapable de s'arrêter sur une seule chose. D'une certaine manière, le travail de Catherine Herbertz se révèle comme un de ces cabinets, mais composé par l'intime et les représentations personnelles du corps féminin. De matières diverses, ses créations nous font entrer dans le monde brut de l'art, laissant de côté ses codes sacrés.
La série des « Linges » montre de vieux vêtements épinglés sur une toile. Recouverts de peinture, les tissus deviennent lourds et sculpturaux : chaque pli est marqué, à la limite de l'exagération, comme pour fixer ce qui a été. Pour Figure 1 et Figure 2, des sillons semblent même se creuser à la manière d'un tailleur de pierre, au point de devenir des ersatz de toges antiques.
L'effet sculptural paraît alors figer le temps, comme si l'enjeu était de faire une anthropologie de l'objet féminin. Mais loin d'être dans l'urgence de la conservation, les couleurs chaudes des toiles nous invitent à contempler les tissus qui, habitués aux mouvements, se retrouvent piégés dans un espace plan. Disposés à l'horizontal, les habits perdent leur fonction première pour laisser place à la matière. Les formes arrondies et arquées deviennent alors des souvenirs du mouvement. Les compositions, pourtant déjà de grands formats, prennent encore plus d'ampleur.
Si les vêtements ont un jour été fragiles, aujourd'hui leur solidité est incontestable. Ajoutant de la farine, du vernis ou encore de la cire, l'artiste incruste les linges dans la toile afin d’endiguer leur vulnérabilité face au temps. Les gants troués de Sens Figuré 1 en portent encore les stigmates. Aussi, l'artiste semble nous rappeler que rien n'est pérenne, ce pourquoi elle emprisonnerait ses linges avant qu'eux aussi ne disparaissent complètement. Mais est-ce là une manière de dire que la femme n'est pas une chose fragile et délicate ?
Dans le travail de Catherine Herbertz, les marques et symboles de la féminité sont nombreux. On en retrouve dans la toile Figure 3. Les sous-vêtements féminins suggèrent l'intime, ce qui est habituellement caché et qui est, paradoxalement, commun à chaque femme. En l'introduisant dans l'espace de la toile, l'artiste brise le secret et avec lui, les formes consensuelles de la féminité : l'emplacement pour la poitrine est aplati et la gaine est scindée par une frise de dentelles abîmées qui s'élargit sous l'entrejambe. De ce fait, si la sensualité a été, elle est révolue. Ou tout du moins, elle n'existe plus sous cette forme.
Pourtant certains codes féminins sont présents dans ces créations, à l'image des poupées de la série « Elles », sortes de Nana contemporaines. Ces femmes de tissus ont les hanches larges, de longs cheveux et une poitrine ronde. Mais refusant d'être des figures sexuelles, elles pourraient endosser le rôle de la mère nourricière. D'ailleurs, une main sur la hanche, Elle 3 affirme fièrement ce qu'elle représente.
Un élément récurant dans le travail de l'artiste, vient pourtant perturber notre regard : que représente ce serpent qui parcourt les femmes et qui finit par remplacer leur tête ? Composé de motifs végétaux, il semble grimper et se lover dans les formes ondulantes des corps des poupées et des tampographies, comme 33 Exercices d'évaporation. Est-ce une manière de renvoyer la femme à un rôle de potiche, un simple motif esthétique ou l'évocation de la naissance ? En effet, le végétal est le seul élément vivace et évolutif de ces créations. Il porte en lui le marqueur de l'éphémère et à mesure du temps, il perd de son éclat. Les bouquets de fleurs fraîches deviendront donc, un jour, des résidus pour nature morte.
L'aspect temporel semble important dans les séries de l'artiste. Il se rapprocherait de la narration lente. Symboliquement, les bandeaux L'Ordre du jour et Maman pourraient le représenter. Au travers d'eux, nous percevons le déroulement du temps : d'un côté nous avons une forme désuète de production, avec la broderie et de l'autre, une manière moderne d'écrire rappelant l'imprimerie. La femme ne serait donc plus celle qui rapièce de vieux vêtements au coin du feu.
Les derniers éléments qu'il faudrait mettre en avant, sont les manières ludiques et humoristiques dont use Catherine Herbertz pour créer. En effet, quelques travaux de la série « & autres » demandent l'intervention d'un tiers, afin d'être actionnés. Respirer, composé de deux ballons de baudruche recouverts de laine, invite le spectateur à mimer les mouvements des poumons, tandis que les rouleaux attisent notre curiosité et demandent à être déroulés.
L'aspect ludique est également accentué par l'utilisation de couleurs vives et saturées. Trois Créatures frivoles, en est un exemple par ses motifs rythmiques que nous souhaiterions voir animés. Quant au traitement humoristique, il aide à questionner des sujets sérieux, sans en perdre leur substance, comme dans Congés payés, balle de jeu recouverte par le tissu rayé d'une espadrille.
Ainsi, les séries que propose Catherine Herbertz, pourraient être rassemblées sous le thème de la « collection d'objets ». Avec ses créations, elle nous laisse entrevoir son parcours par la présence du livre, de la couture, des cartes, du féminin et de la nature. Il est proposé, au spectateur, d'entreprendre un voyage au travers des constructions personnelles de l'artiste, guidé par les nombreuses lignes qui composent ses objets. La trace que laisse le temps est alors partout, à commencer sur la toile elle-même. Tout comme les vêtements, elle est intentionnellement vieillie voire salie – est-ce pour tromper la peur panique de la feuille blanche ? Et s'il s'agit bien d'un parcours personnel, il ne peut, effectivement, se faire qu'en Allée simple.
Alicia Martins, codirectrice de l'association A L'Heure de L'art, master spécialisé dans les pratiques artistiques nouvelles après 1960.
https://www.facebook.com/alheuredelart/
Insula, la virîle
